LARMES DE SERVICE

Description

De Pierre Roeder

Vingt ans se sont écoulés depuis l’entrée d’Aurélie dans la police. Si le scénario de ces deux décennies avait figuré noir sur blanc sur son contrat de travail, l’aurait-elle signé ?

« Vos premières années seront mouvementées, passionnantes, conformes à ce dont vous rêviez. Vous serez appréciée et même décorée pour votre témérité. Puis vous intégrerez un petit commissariat près de votre domicile où vos qualités reconnues muteront en d’insupportables défauts. Vous deviendrez rapidement le bouc-émissaire de votre officier supérieur, qui mettra toute son énergie à vous détruire à petit feu, pendant quatre années. Les autres officiers ne vous seront d’aucun secours, bien au contraire ils prendront part, par leur passivité, leur couardise et, pour certains d’entre eux, leur misogynie à cette vaste entreprise de harcèlement dont vous serez la cible. 

Un soir de désespoir, vous poserez le canon de votre arme de service sur votre tempe droite, prête à en finir. Seule l’intervention d’un collègue empêchera l’irréparable. Dans un premier temps, le système vous donnera tort. Vous serez en effet blâmée pour insubordination et poussée hors de l’institution. Il faudra deux procès pour vous rendre enfin justice. Soyez néanmoins la bienvenue dans la police. » 

Ce contrat, Aurélie l’aurait-elle signé ? On imagine aisément la moiteur de la main retenant le stylo. Si elle avait renoncé, elle se serait épargnée deux ulcères et des torrents de larmes. Elle se serait également privée d’un combat qui l’a rendue plus forte qu’elle ne l’aurait sans doute jamais été. 

Comme rien de tout cela n’apparaissait, visible, dans le contrat de travail, Aurélie l’a ratifié des deux mains, le cœur débordant de reconnaissance d’être accueillie dans cette police qu’elle aimait aveuglément. Elle l’aime toujours aujourd’hui, mais les yeux grands ouverts.

Surmontant les intimidations et les pressions, Aurélie est la première flic à avoir obtenu la condamnation de son harceleur. Elle a fait jurisprudence. Depuis une note de l’administration affichée dans tous les postes de police sensibilise le personnel sur ce sujet. Elle incite les victimes à se manifester et demande aux fonctionnaires d’être attentifs aux scénarios de dénigrement qui se manifestent dans leur environnement professionnel. Si son combat ne devait sauver qu’un seul collègue, il n’aura pas été vain.

96 pages